Le travail- cours TES

L’homme s’aliène-t-il en travaillant?

Problématisation

Le travail apparaît aux yeux de tous comme une contrainte. Nul ne travaillerait s’il n’y était obligé. Le travail représente du temps pris sur notre vie, temps qui ne nous appartient pas, dans lequel on ne dispose pas librement de soi. On ne s’y soumet que par nécessité, « il faut bien gagner sa vie ». Le travail apparaît donc au premier abord comme un dessaisissement de soi-même, un labeur qui pèse sur nous, comme une malédiction. Mais paradoxalement la privation de travail nous marginalise et nous ôte bel et bien un droit fondamental : notre participation active au monde social, la reconnaissance de notre utilité et de notre valeur, la possibilité de nous réaliser. Dès lors nous devons affronter le problème de la valeur du travail : le travail est-il une servitude ou une libération, un dessaisissement de soi ou un accomplissement de soi ? Le travail n’a-t-il qu’une finalité externe, tel un simple gagne-pain ? Ou bien est-il essentiel à l’accomplissement de notre humanité ? Et si oui, dans quelle mesure ?

I- Le travail comme contrainte

Nous évaluerons ici en quoi le travail peut sembler n’avoir qu’une valeur extrinsèque : nous ne travaillons que pour satisfaire nos besoins, parce que c’est une nécessité à laquelle nous devons nous contraindre pour survivre. Mais travailler n’a pas de valeur en soi.

A- Un enchaînement à la nécessité

Le travail peut être d’abord compris comme un rapport de l’homme à la nature. Travailler est une nécessité naturelle, on ne peut faire autrement. L’homme cultive, travaille la terre, la transforme, recueille ses fruits et s’en nourrit. Contrairement aux animaux, la nature n’offre pas suffisamment de ressources à l’être humain pour qu’il puisse se nourrir de ce qu’elle lui offre sans travailler.

« La nature est une marâtre, elle ne donne rien », disait Hésiode.

Le travail est en effet représenté dans de nombreux mythes comme une malédiction. Ainsi dans la Genèse 3 ; 16.19.   Adam et Eve dans le jardin d’Eden ne travaillent pas, ils jouissent à profusion des fruits que le Créateur met à leur disposition. A la suite de leur péché, ils sont déchus, chassés et une malédiction est prononcée contre eux : Adam « gagnera son pain à la sueur de son front » : sa vie ne lui est plus donnée, il doit la gagner, il doit expier son péché en rachetant sa faute par ses efforts, sa « sueur ». De même il est dit qu’Eve « enfantera dans la douleur »: les femmes aussi sont vouées à la peine et au labeur de la maternité.

« Maudit soit le sol à cause de toi. C’est au prix d’un travail pénible que tu tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. Il te produira des épines et des chardons et tu mangeras l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras le pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré car tu es poussière et tu retourneras à la poussière » Genèse 3 ; 16.19.

Le travail s’appréhende donc d’abord comme dur labeur, application à une tâche, effort soutenu pour faire quelque chose, en parlant de l’esprit comme du corps.

De fait, la vie du travailleur n’est pas « donnée », elle reste toujours à conquérir : il faut « gagner sa vie » : notre vie ne nous est pas donnée. On perd donc une grande partie de sa vie pour la gagner, mais rien n’est jamais acquis, il faut toujours recommencer, chaque jour. « Comme on fait son lit on se couche », dit le dicton.

Le mythe de Sisyphe symbolise bien cet enchaînement sans fin à une tâche sans but, dont Camus souligne bien l’absurdité.

Image result for sisyphe

Sisyphe, peint par Le Titien

Certes, dans sa forme moderne, le travail salarié, le travailleur a bien un but : le salaire, que l’on nomme justement « gagne-pain »  On obtient bien quelque chose en contrepartie de notre peine, (un salaire), mais on n’obtient que ce que l’on a cédé : son énergie, son temps, les objets produits. Le pain gagné le jour est mangé, consommé.

La valeur du travail reste par la suite extérieure à lui : le salaire que l’on gagne à la fin du mois reste extrinsèque, hétérogène par rapport au travail accompli.

 

B- L’homme libre ne travaille pas, l’esclave travaille

La liberté est un statut qui s’oppose dans l’Antiquité grecque à celui d’esclave. Le travail est considéré par les citoyens Grecs libres comme un enchaînement à la nécessité : il faut cultiver la terre, s’occuper du bétail etc. On n’a pas le choix, sauf à faire exécuter ce labeur par quelques autres. L’homme  est enchaîné à la nécessité de travailler pour extraire de la terre de quoi se nourrir, construire un abris, se défendre, élever ses enfants etc. Le terme grec désignant l’artisan (banausos) est péjoratif chez les Grecs. Le travail désigne les activités qui déforment le plus les corps. L’homme qui travaille est méprisé, l’esclave quant à lui ne jouit d’aucun droit.

L’homme qui ne travaille pas peut au contraire disposer de son temps, il est respectable car il se sert des parties nobles de son âme à des activités intellectives. Il jouit de droits qui le protègent, et participe à la vie politique de la Cité. Il faut en effet être oisif, vivre une vie de de loisirs pour se consacrer à l’étude (scholè) ou à la vie politique.

Negotium/otium : En latin, on retrouve l’opposition entre otium, le loisir, et negotium, les affaires, le travail.

Je livre ces lyrics extraits de la chanson Jour de paye du chanteur Booba à  votre libre appréciation:

[Couplet 3]

Cette go, j’ai la somme qui lui faut, n’aie pas le seum

Haineux, tu veux me faire la peau, kho, t’es pas le seul

Nouvelles Jordan aux pieds, j’aimerais toucher le ciel

Pitbull en rut à l’affût d’un lâché de chiennes

J’fais que du lourd, meilleur album, j’sais pas c’est lequel

Ma vie manquait de goût, la street m’a passé le sel

Crème de la crème, au bled on crève de la grippe

J’suis là où règne la haine, car saigne l’Afrique

Oublié, j’essaye, trouve-moi aux Seychelles

J’fais rien, j’m’en bats les couilles, une Colombienne fait ma vaisselle

J’suis au-dessus de la normale, Féfé Enzo

J’arrive dans l’game, comme une tornade

Ils n’oublieront pas, ils se souviendront de nous

Je vais régner assis négro, je vais mourir debout

Sur le podium, il n’y a que nous

Tu veux t’asseoir sur le trône ? Faudra t’asseoir sur mes genoux

[Outro]

Viens dans mon département

Faire de l’argent facile, pourquoi faire autrement ?

Moi j’ai fait la guerre pour habiter Rue de la Paix

Je n’manque jamais à l’appel quand c’est le jour de la paye

 

C- Le travail, une torture

De l’ancien français travail (« tourmentsouffrance »), du latin tripálĭum (« instrument de torture à trois poutres »).

L’étymologie latine corrobore le sens négatif du travail. Le mot  tripalium désigne un instrument à trois pieux servant à maintenir les chevaux récalcitrants afin de les ferrer. C’est dire que la notion de travail est connotée par celle de torture, de souffrance endurée à son corps défendant. De même, le mot labeur indique celui de peine. Ex : Un homme de peine désigne un travailleur. On dit aussi : il ne « mesure pas sa peine » pour signifier qu’il ne rechigne pas à l’effort.

NB : On ne confond pas le loisir (scholè) et l’oisiveté. Le loisir est consacré à la vie publique du citoyen. L’oisiveté est un vice synonyme de paresse. L’homme libre est actif.

Dans cette perspective la tâche des hommes est de se libérer de la servitude du travail. Elle consiste à dégager du temps libre pour l’action, non point pour être oisif. Le mépris grec du travail ne débouche pas sur une apologie de la paresse ou de l’oisiveté. « L’oisiveté est la mère de tous les vices » dit la sagesse des nations. Elle livre l’homme à l’intempérance, à la démesure, à l’excès.

Cependant le travail en tant qu’il est labeur, effort pénible et justement à cause de cela, va gagner ses lettres de noblesse dans une réflexion qui privilégiera d’une part le lien social créé, d’autre part l’accomplissement individuel par la maîtrise qu’il permet de gagner sur soi et sur le monde.

 

II- L’homme accomplit son humanité par son travail

A- Le travail comme lien social

Si le travail est une nécessité vitale, un rapport à la nature, sa valeur culturelle et sociale remplace progressivement cette première destination.Le partage progressif du travail mène à le considérer sous ce nouvel aspect, à travers la spécialisation progressive des tâches depuis le néolithique

Nous envisagerons cette nouvelle perspective sur le travail comme un rapport de l’homme à l’homme.

Platon est un des premiers philosophes à avoir remarqué qu’au niveau de la société,

« on fait plus et mieux et plus aisément, lorsque chacun ne fait qu’une chose, celle à laquelle il est propre ». (voir texte 1)

La question initiale de Platon, est de savoir comment est née la Cité, quelle est son origine. Il répond que c’est de la nécessité de satisfaire ses besoins, que l’homme seul ne peut satisfaire, qu’est née la Cité ; Cité qui se caractérise donc fondamentalement comme manière d’organiser le travail en partageant les tâches.

De plus, chacun ayant des aptitudes caractéristiques qui lui sont propres, la Cité se trouvera organisée dans un rapport harmonieux si chacun se consacre à la tâche qui lui convient de par sa nature. La Cité idéale (Kalipolis), est une Cité où chacun trouve à s’employer selon ses qualités propres.

Dès lors, on remarque que le travail est directement facteur d’intégration, de reconnaissance sociale. On est aujourd’hui ce qu’on fait, on se définit par son activité, son métier. En travaillant on se rend utile aux autres, et l’efficacité ainsi que la compétence que l’on déploie vont amener à chacun un statut, une reconnaissance sociale. A l’inverse, celui qui ne travaille pas (ou qui ne travaille pas bien) sera marginalisé.

La conséquence du travail, considéré maintenant comme essentiel au lien social, est donc non pas une contrainte ou une nécessité, mais bien un devoir envers la communauté. Un devoir, c’est-à-dire une obligation à laquelle chacun consent librement non pas simplement pour obtenir un salaire mais car elle lui confère une existence sociale, un statut, une reconnaissance, donc qu’elle permet l’intégration au monde commun des hommes.

 

B-Le travail libérateur : la dialectique du maître et de l’esclave

Selon une interprétation de Hegel dans La phénoménologie de l’esprit  l’esclave en  transformant la nature, a un rôle actif. Le maître, qui pour sa part ne travaille pas mais fait réaliser vit immédiatement dans la jouissance de l’objet consommable : il ne connaît que son aspect passif. Il apparaît que l’esclave, travaillant (réalisant) à transformer le monde humain, se transforme lui-même et revendique son autonomie, tandis que le maître se rend étranger à son monde, qu’il ne reconnaît plus. Dès lors, l’esclave en produisant peut renverser le rapport de domination pour se retrouver dans l’accomplissement du monde humain : l’égalité.

Autrement dit, ainsi s’opère le passage du service d’un maître oisif par un serviteur qui maîtrise la nature, à l’état de société civile où ce sont les besoins de tous qui sont satisfaits. l’État est conçu comme lieu de cette reconnaissance réciproque .

« Dans cette dépendance et cette réciprocité du travail et de la satisfaction des besoins, l’appétit sub-jectif se transforme en une contribution à la satisfaction des besoins de tous les autres. Il y a médiation du particulier à l’universel, mouvement dialectique qui fait que chacun, en gagnant, produisant, et jouissant pour soi, gagne et produit en même temps pour la jouissance des autres » Hegel, Principes, § 199

 

C-Travail, humanisation et culture 

Le travail est donc « anthropogène », il fait l’homme, l’humanité de l’homme. Selon Georges Bataille, il provoque une mutation morale:

« Je pose en principe un fait peu contestable: que l’homme est l’animal qui n’accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L’homme parallèlement se nie lui-même, il s’éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l’animal n’apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d’accorder que les deux négations que, d’une part, l’homme fait du monde donné et, d’autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l’une ou à l’autre, de chercher si l’éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d’une mutation morale. Mais en tant qu’il y a homme, il y a d’une part travail et de l’autre négation par interdits de l’animalité de l’homme. »

Georges Bataille, L’érotisme

 

L’homme peut en effet développer ses aptitudes par le travail:

«  Le travail n’applique pas seulement des transformations à la nature extérieure, mais il amène des modifications dans le travailleur lui-même ». 

ROUSSEAU , Le Contrat social

Le travail est donc éducateur, civilisateur. L’homme va vaincre ses résistances par la discipline, obtenir un plaisir et des gratifications proportionnelles au mérite : le travail devient une notion comportant une forte valeur morale. Les aptitudes que la nature m’a données, j’ai le devoir de les cultiver par le travail. Mais de quel genre de travail s’agit-il? Toute forme de travail ne permet pas au même titre cette réalisation, cet accomplissement, loin s’en faut. Le travail peut être perverti et devenir non pas un moyen de s’accomplir, mais un facteur d’oppression.

 

III- Le travail peut se transformer en instrument d’oppression

A- Hypocrisie des discours sur la valeur du travail 

Les discours sur le « devoir de travailler », sur la libération par le travail, cachent peut-être un mobile hypocrite : n’est-ce pas dans le but de nous faire accepter la dure contrainte du travail qu’on nous le présente comme un devoir moral ? Ne doit-on pas démasquer sous ces discours une volonté répressive ? Le travail n’est-il pas comme le dit Nietzsche « la meilleure des polices » ?

Voir Texte 2

Nietzsche, Aurores (1881)

 

B- Le travail aliéné

Le travail n’est pas seulement créateur de lien social, il est aussi créateur d’inégalités, de hiérarchie voire d’oppression.

On se souvient de l’inscription au fronton du camp de concentration d’Auschwitz : « Le travail rend libre. » On retrouve ici « l’humour » terrifiant du nazisme, décrit par Primo Lévi.De la même façon, les colonisateurs justifieront le travail forcé des indigènes par l’idée que le travail est « civilisateur » (argument énoncé par les blancs dans First Contact)

Le travail est l’argument de tous les fascismes : travail, famille, patrie, proclamait Pétain.

Dès lors, on aurait sinon le devoir de ne pas travailler, du moins le droit de s’y soustraire ?

Apparemment chez Marx, il y a une condamnation du travail. En fait, il y a seulement une condamnation du salariat.

Texte 3, Marx, Le Capital

Dans ce texte, Marx rend hommage au travail, propre de l’homme, car l’ouvrier « conçoit son travail dans sa tête » avant de le réaliser, le travail est « projet ». L’homme qui travaille est conscient, il choisit, il exerce dans son travail les forces de sa volonté, il obéit au plan qu’il a lui-même déterminé.

Le travail aliéné est alors la perversion du travail, qui rend l’homme comme étranger à lui-même.

Cette perversion s’accomplit dans le cas de la société industrialisée, dans laquelle les tâches sont parcellisées, hyper spécialisées. On rationalise le travail en fonction de la productivité maximale. Ce faisant, on subordonne le travailleur à la production, la production efficace fait oublier l’homme réel derrière la machine.

L’importance de la division du travail a été soulignée par un économiste classique, Adam Smith dès 1776. S’inspirant de l’un des chapitres de l’Encyclopédie, Smith décrit une manufacture d’épingles au sein de laquelle les tâches ont été parcellisées et spécialisées entre les ouvriers, source d’une plus grande productivité : c’est la « division technique du travail ».

Le fordisme : La phrase qu’aurait adressée Ford à l’ouvrier Michael Johnson Shartle :

« On ne te demande pas de penser ; il y a des gens payés pour cela, alors mets-toi au travail ».

Un ouvrier n’est donc pas payé pour penser mais pour exécuter, les ingénieurs se chargent de penser pour lui.

Analyse du salariat par Marx :

La force de travail est une marchandise que le travailleur vend au capitaliste.

La valeur de l’objet produit devient autonome par rapport au travail de l’ouvrier. La valeur du travail reste celle nécessaire à la reproduction de la force de travail. La valeur marchande du produit dépend maintenant du marché dans lequel l’objet produit s’échange. La plus-value sera réalisée par le détenteur des moyens de production.

Le travailleur devient marchandise en vendant sa force de travail (son énergie vitale, sa vie) au patron propriétaire des outils de production.

Ce que je gagne, c’est ce que j’ai accepté de perdre en travaillant.

L’ouvrier doit se soumettre à la machine (cadences, gestes)

La machine fait de l’ouvrier un automate sans pensée

La paresse n’est dès lors que la protestation non pas contre le travail, mais contre sa version aliénante.

Aliénation de l’ouvrier par le salariat= perte de son humanité

Le loisir aliéné

Le loisir aliéné, devient également un instrument d’oppression.

Marx a dénoncé ce soi-disant temps de repos accordé avec parcimonie au travailleur : il ne lui sert en fait qu’à trois  choses :

à reconstituer sa force de travail pour continuer à la vendre, à se vendre ;

à se reproduire et dons à fournir la main d’œuvre future dont le capital a besoin ;

à consommer, et donc à « redonner » son salaire au patron qui l’exploite et lui vend ce que lui-même ou d’autres prolétaires comme lui ont produit.

De nos jours, vacances rime encore souvent avec temps vacant, dont on dénoncera la vacuité, le vide.

 

C- Travail et condition humaine

Peut-on redonner au travail le sens premier d’activité vitale telle que l’avait défini Marx? Il faut toujours la garder en mémoire, mais le projet d’un retour à cette forme première est sans doute peu souhaitable. Il est donc probable que le travail demeure au moins en partie une contrainte, et que les progrès de la technique transformant les conditions du travail ne nous libèrent pas de la nécessité de travailler, ni de l’ambiguïté de la valeur du travail. Les formes que revête le travail changent simplement de forme (start ups…), en améliorent certainement certains aspects, mais les nécessités sociales et les contraintes économiques sont toujours présentes. Obligation vis-à-vis des autres et de soi-même, nécessité vitale, parfois accomplissement de soi et création, facteur de reconnaissance mais aussi dans une certaine mesure aliénation à un système qui nie notre individualité: c’est cette complexité de la condition de travailleurs que nous devons assumer.

Travailler, c’est donc accepter la condition humaine dans ce qu’elle a de limité, et en faire une force. La liberté ne peut se penser sans l’acceptation de certaines contraintes.

Comme le dit Camus, « il faut imaginer Sisyphe heureux ».

 

ANNEXE

Texte 1

SOCRATE – Ce qui donne naissance à une cité, repris-je, c’est, je crois, l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses ; ou bien penses-tu qu’il y ait quelque autre cause à l’origine d’une cité ?

ADIMANTE – Aucune, répondit-il.

S – Ainsi donc, un homme prend avec lui un autre homme pour tel emploi, un autre encore pour tel autre emploi, et la multiplicité des besoins assemble en une même résidence un grand nombre d’associés et d’auxiliaires ; à cet établissement commun nous avons donné le nom de cité, n’est-ce pas ?

A – Parfaitement.

S – Mais quand un homme donne et reçoit, il agit dans la pensée que l’échange se fait à son avantage.

A – Sans doute.

S – Eh bien donc ! repris-je, jetons par la pensée les fondements d’une cité ; ces fondements seront apparemment, nos besoins.

A – Sans contredit.

S – Le premier et le plus important de tous est celui de la nourriture, d’où dépend la conservation de notre être et de notre vie.

A – Assurément.

S – Le second est celui du logement ; le troisième celui du vêtement et de tout ce qui s’y rapporte.

A – C’est cela.

S – Mais voyons ! dis-je, comment une cité suffira-t-elle à fournir tant de choses ? Ne faudra-t-il pas que l’un soit agriculteur, l’autre maçon, l’autre tisserand ? Ajouterons-nous encore un cordonnier ou quelque autre artisan pour les besoins du corps ? – Certainement. – Donc, dans sa plus stricte nécessité, la cité sera composée de quatre ou cinq hommes.

A – Il le semble.

S – Mais quoi ? faut-il que chacun remplisse sa propre fonction pour toute la communauté, que l’agriculteur, par exemple, assure à lui seul la nourriture de quatre, dépense à faire provision de blé quatre fois plus de temps et de peine, et partage avec les autres, ou bien, ne s’occupant que de lui seul, faut-il qu’il produise le quart de cette nourriture dans le quart de temps des trois autres quarts, emploie l’un à se pourvoir d’habitation, l’autre de vêtements, l’autre de chaussures, et, sans se donner du tracas pour la communauté, fasse lui-même ses propres affaires ? […]

A – Peut-être, Socrate, la première manière serait-elle plus commode.

S – Par Zeus, repris-je, ce n’est point étonnant. Tes paroles, en effet, me suggèrent cette réflexion que, tout d’abord, la nature n’a pas fait chacun de nous semblable à chacun, mais différent d’aptitudes, et propre à telle ou telle fonction. Ne le penses-tu pas ?

A – Si.

S – Mais quoi ? dans quel cas travaille-t-on mieux, quand on exerce plusieurs métiers ou un seul ?

A – Quand, dit-il, on n’en exerce qu’un seul.

Platon, République

 

Texte 2

« Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, ce qu’on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême.

Aurores (1881), Livre III

resques.ina.fr/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00481/remise-d-une-francisque-au-marechal-petain.html

 

Texte 3

« Une araignée fait des opérations qui ressemble à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n’est pas momentanée. L’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d’une tension constante de la volonté. Elle l’exige d’autant plus que par son objet et son mode d’exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu’il se fait moins sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles ; en un mot, qu’il est moins attrayant»

Karl Marx, Le Capital.

Image result for abeille

 

Texte 4

Or, en quoi consiste la dépossession du travail? D’abord, dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son être; que, dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas, mais se nie; qu’il ne s’y sent pas satisfait, mais malheureux; qu’il n’y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C’est pourquoi l’ouvrier n’a le sentiment d’être à soi qu’en dehors du travail; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n’est pas lui. Son travail n’est pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n’est pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l’homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l’ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas; que dans le travail l’ouvrier ne s’appartient pas à lui-même, mais à un autre. Marx, Ébauche d’une critique de l’économie politique.

 

Texte 5

Déclaration des droits de l’homme, Article 23 :

  1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
  2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.
  3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.
  4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

 

Image result for manif travail

 

Laisser un commentaire