La liberté- cours TSTMG2

Etre libre, est-ce faire ce que l’on veut ?

Texte à méditer pour préparer le bac blanc:

On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la raison. Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire à l’obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave. Si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire dans un État et sous un commandement pour lequel la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave inutile à lui-même, mais un sujet.

Baruch Spinoza Traité théologico-politique

 

 

I-              La liberté consiste en l’absence de contraintes

 

A- Etre libre, est-ce ne rencontrer aucun obstacle physique ?

Définition commune de la liberté : faire ce qui nous plaît, sans contraintes ni empêchements. On parle alors de liberté naturelle (les animaux sont libres ainsi tant qu’ils ne sont pas en cage)

La privation de liberté , la prison, est un châtiment. Etre privé de liberté, c’est ne pouvoir aller où bon nous semble sans entraves.

Partant de cette première définition, il n’y a pas de liberté totale, on ne se meut jamais sans aucun obstacle physique, par exemple je dois tenir compte de la pesanteur, je ne peux voler, me libérer de la loi de gravité…

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Donc, à moins d’être superman et de pouvoir m’affranchir des lois physiques, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qu’il est en ma capacité physique de faire (compte tenu de la réalité de mon corps et du milieu dans lequel j’évolue).

 

B- Etre libre, est-ce n’obéir à rien ni à personne?

A première vue, la liberté s’oppose à l’obéissance.

Obéir, c’est en effet soumettre sa volonté à la volonté d’un autre, c’est donc perdre notre capacité à nous gouverner nous-mêmes.

Si la liberté consiste à ne se soumettre à rien ni à personne, seuls les chefs sont libres, les autres doivent se soumettre. La liberté n’est donc possible que si l’on domine les autres, et qu’on soit en mesure de leur imposer notre volonté.

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Calliclès dans le dialogue le Gorgias de Platon, définit la liberté comme licence ou intempérance : agir selon nos désirs et les satisfaire tous, sans tenir compte des lois, qu’elles soient morales ou positives.

Ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent. Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce qu’il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! […] La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.

Platon, Gorgias

Pour Calliclès, la liberté totale, sans limites, est donc la vraie liberté.

L’homme le plus puissant est l’homme le plus libre. Il doit protéger sa puissance contre celle des autres.

Les lois sont selon lui une ruse des faibles pour limiter la liberté des puissants. Faire ce qu’on veut est un privilège réservé au plus fort. Tous les hommes ne sont pas capables d’être libres, de faire tout ce qu’ils désirent. Les lois sont au service des impuissants et des frustrés, elles empêchent les puissants de réaliser leurs désirs en les soumettant aux faibles.

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Conséquences de la thèse de Calliclès :

  • Au niveau individuel : obéir à tous ses désirs au fur et à mesure qu’ils se présentent ne signifie-t-il pas être esclave de ses désirs ? C’est ce que veut nous faire comprendre Platon dans la suite du Gorgias en se référant au Tonneau des Danaïdes : vouloir satisfaire tous ses désirs, c’est comme essayer de remplir d’eau un tonneau percé.
  • Au niveau collectif : c’est la tyrannie

 

Donc : la liberté sans obéissance va de pair avec l’inégalité et la domination. L’égalité nécessite des contraintes, l’obéissance à des lois communes.

 

C- Etre libre, c’est n’être déterminé par rien

La liberté de faire tout ce que l’on veut implique que l’on puisse agir sans y être déterminé par rien, donc sans autre cause que notre volonté souveraine.

En effet, si nos actes sont déterminés par des causes, alors nous n’en sommes pas maîtres puisque ce qui les cause est extérieur à nous. Par exemple, mon choix d’études est déterminé par des influences et des déterminismes sociaux. Je crois choisir mais en fait je n’ai pas choisi, j’ai été déterminé à choisir.

Alors pour être libre il faudrait agir sans cause d’aucune sorte. C’est ce que tente le personnage d’un roman d’André Gide, Lafcadio. Il commet un meurtre sans aucune raison, sans mobile, donc sans cause. Il tente ainsi de prouver qu’il est libre. Mais il ne prouve rien car son meurtre est déterminé par son souci d’être libre, lui-même déterminé par ses lectures, son milieu, ce qu’il a vécu etc.

Donc : Agir sans mobile, sans cause, uniquement par liberté conduit l’homme à l’acte gratuit, absurde.

 

II- La liberté c’est faire ce que l’on veut en tenant compte d’autrui

A- Ma liberté doit être limitée par celle des autres

Hors de l’état civil, chacun jouit sans doute d’une liberté entière, mais stérile ; car, s’il a la liberté de faire tout ce qu’il lui plaît, il est en revanche, puisque les autres ont la même liberté, exposé à subir tout ce qu’il leur plaît. Mais, une fois la société civile constituée, chaque citoyen ne conserve qu’autant de liberté qu’il lui en faut pour vivre bien et vivre en paix, de même les autres perdent de leur liberté juste ce qu’il faut pour qu’ils ne soient plus à redouter.

Hors de la société civile, chacun a droit sur toutes choses, si bien qu’il ne peut néanmoins jouir d’aucune. Dans une société civile par contre, chacun jouit en toute sécurité d’un droit limité.

Hors de la société civile, tout homme peut être dépouillé et tué par n’importe quel autre. Dans une société civile, il ne peut plus l’être que par un seul.

Hors de la société civile, nous n’avons pour nous protéger que nos propres forces ; dans une société civile, nous avons celles de tous.

Hors de la société civile, personne n’est assuré de jouir des fruits de son industrie[1] ; dans une société civile, tous le sont.

On ne trouve enfin hors de la société civile que l’empire des passions, la guerre, la crainte, la pauvreté, la laideur, la solitude, la barbarie, l’ignorance et la férocité ; dans une société civile, on voit, sous l’empire de la raison, régner la paix, la sécurité, l’abondance, la beauté, la sociabilité, la politesse, le savoir et la bienveillance.

Thomas Hobbes, Le Citoyen (1642)

Hobbes nous montre que pour vivre ensemble et en sécurité, il faut renoncer à une partie de sa liberté naturelle, à condition que les autres en fassent autant. Il y a en République un CONTRAT des citoyens qui s’engagent à respecter les libertés d’autrui dans la mesure où la réciproque est vraie. Donc l’obéissance aux lois et à l’autorité de l’Etat permet une certaine liberté, encadrée par une égalité des droits de chacun.

 

Déclaration des Droits de l’homme de 1789

Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

 

B- Obéir aux lois plutôt qu’obéir aux hommes

« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement…Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un Etat libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner, c’est obéir […]

 Il n’y a donc point de liberté sans Lois, ni où quelqu’un est au dessus des Lois : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous.

   Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois, mais il n’obéit qu’aux Lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les Républiques au pouvoir des Magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des Lois : ils en sont les Ministres, non les arbitres ; ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son Gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la Loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des Lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.»

Rousseau, Lettres écrites sur la montagne (1764)

 

II-            Agir par conviction, c’est être libre

Il y a une différence entre obéir à la volonté d’un homme, et obéir à un principe abstrait tel qu’une loi civile ou un principe moral rationnel.

Obéir aux lois plutôt qu’obéir aux hommes, en cela consiste la vraie liberté.

A- L’action la plus libre est l’action raisonnable

On peut maintenant définir la liberté comme libre-arbitre. Le libre-arbitre est la capacité de faire un choix,  de manière souveraine, par la seule force de la volonté, indépendamment de toute contrainte extérieure mais aussi de toute contrainte intérieure (grâce à son libre-arbitre l’homme peut choisir de ne pas céder à ses désirs).

Le libre-arbitre suppose que l’on puisse choisir indépendamment de toute détermination extérieure. Cela suppose aussi que l’on soit totalement libre de nos choix, et donc que notre choix soit en notre entière responsabilité.

C’est pourquoi il est possible à tout arbitre de choisir volontairement le mal, que ce soit un mal pour les autres ou même pour lui. C’est parce que l’on a le choix que l’on a une responsabilité morale sur nos actes.

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Cependant, Descartes montre que l’arbitre est d’autant plus libre que ses choix s’appuient sur des convictions fondées en raison. Ainsi agir selon ce que la raison nous montre comme le bien, c’est agir selon un plus haut degré de liberté. Choisir sans raisons, dans l’indifférence, c’est confondre la liberté et le « n’importe quoi ». Choisir le mal, v’est choisir contre toute raison, c’est donc choisir au fond à contre-coeur.

 

Ce que savait déjà Thomas d’Aquin

L’homme est libre : sans quoi conseils, exhortations, préceptes, interdictions, récompenses et châtiments seraient vains. Pour mettre en évidence cette liberté, on doit remarquer que certains êtres agissent sans discernement, comme la pierre qui tombe, et il en est ainsi de tous les êtres privés du pouvoir de connaître. D’autres, comme les animaux, agissent par un discernement, mais qui n’est pas libre. En voyant le loup, la brebis juge bon de fuir, mais par un discernement naturel et non libre, car ce discernement est l’expression d’un instinct naturel (…). Il en va de même pour tout discernement chez les animaux. Mais l’homme agit par jugement, car c’est par le pouvoir de connaître qu’il estime devoir fuir ou poursuivre une chose. Et comme un tel jugement n’est pas l’effet d’un instinct naturel, mais un acte qui procède de la raison, l’homme agit par un jugement libre qui le rend capable de diversifier son action. Thomas D’Aquin, Somme théologique

 

B- Assumer pleinement la responsabilité de ses actes, c’est être libre

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Le sacrifice d’Abraham, peint par Le Caravage

Vous connaissez l’histoire : Un ange a ordonné à Abraham de sacrifier son fils : tout va bien si c’est vraiment un ange qui est venu et qui a dit : tu es Abraham, tu sacrifieras ton fils. Mais chacun peut se demander, d’abord, est-ce que c’est bien un ange, et est-ce que je suis bien Abraham ? Qu’est-ce qui me le prouve ? Il y avait une folle qui avait des hallucinations : on lui parlait par téléphone et on lui donnait des ordres. Le médecin lui demanda : « Mais qui est-ce qui vous parle ? » Elle répondit : « Il dit que c’est Dieu. » Et qu’est-ce qui lui prouvait, en effet, que c’était Dieu ? Si un ange vient à moi, qu’est-ce qui prouve que c’est un ange ? Et si j’entends des voix, qu’est-ce qui prouve qu’elles viennent du ciel et non de l’enfer, ou d’un subconscient, ou d’un état pathologique ? Qui prouve qu’elles s’adressent à moi ? Qui prouve que je suis bien désigné pour imposer ma conception de l’homme et mon choix à l’humanité ? Je ne trouverai jamais aucune preuve, aucun signe pour m’en convaincre. Si une voix s’adresse à moi, c’est toujours moi qui déciderai que cette voix est la voix de l’ange ; si je considère que tel acte est bon, c’est moi qui choisirai de dire que cet acte est bon plutôt que mauvais. 

Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme

[1] De son travail.

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