SARTE – EXEMPLE D’ANALYSE DES ARGUMENTS

Choisir d’être ceci ou cela, c’est affirmer en même temps la valeur de ce que nous choisissons, car nous ne pouvons jamais choisir le mal ; ce que nous choisissons, c’est toujours le bien, et rien ne peut être bon pour nous sans l’être pour tous. Si l’existence, d’autre part, précède l’essence et que nous voulions exister en même temps que nous façonnons notre image, cette image est valable pour tous et pour notre époque tout entière. Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l’humanité entière. Si je suis ouvrier, et si je choisis d’adhérer à un syndicat chrétien plutôt que d’être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la résignation est au fond la solution qui convient à l’homme, que le royaume de l’homme n’est pas sur la terre, je n’engage pas seulement mon cas : je veux être résigné pour tous, par conséquent ma démarche a engagé l’humanité tout entière. Et si je veux, fait plus individuel, me marier, avoir des enfants, même si ce mariage dépend uniquement de ma situation, ou de ma passion, ou de mon désir, par là j’engage non seulement moi-même, mais l’humanité tout entière sur la voie de la monogamie. Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ; en me choisissant, je choisis l’homme.

 

 

Analyse des arguments de l’extrait et conclusion:

 

  1. Sartre commence par énoncer sa thèse : en se choisissant, l’homme choisit tous les hommes. Il s’agit de montrer le passage de la liberté individuelle de l’homme à la responsabilité vis-à-vis d’autrui, et à la dimension morale de l’existentialisme. On part de la subjectivité, il ne s’agit donc pas de rapporter chaque décision individuelle à une norme préétablie. Pourtant on ne s’inscrit pas dans l’individualisme du « chacun pour soi » puisque chaque position individuelle s’universalisera « automatiquement »: en agissant, je crée une image, une norme de l’agir humain.
  2. Sartre précise que « nous ne pouvons pas choisir le mal ». Il semble reprendre ici la thèse de Platon selon laquelle « nul ne fait le mal volontairement », mais seulement par « ignorance de ce qu’est le vrai bien» (cf : Protagoras, 352b-357a ; Ménon, 77b-78a).

Mais Sartre renverse cette thèse : le Bien ne préexiste pas à l’homme comme le pensait Platon ; au contraire , le bien provient de l’homme, dans la mesure où celui-ci  définit le bien en agissant. Ici nous ne pouvons pas choisir le mal parce que ce  sont  nos actes mêmes qui définissent le bien.

3. L’auteur illustre sa thèse par deux exemples, l’un emprunté à la sphère publique : le choix d’un syndicat chrétien, l’autre emprunté à la sphère privée : le choix de se marier et d’avoir des enfants. Ces deux exemples nous montrent bien que ces choix n’engagent pas un seul individu mais qu’ils engagent également une définition de l’humanité qu’il souhaite. L’homme est législateur. Nos choix sont normatifs, ils créent l’image de ce que l’homme doit être, ils créent des valeurs.

4. Dans le § 9, Sartre « prouve » sa théorie en évoquant le sentiment d’angoisse qui selon lui accompagne toutes nos décisions, tous nos engagements, et en fin de compte toute notre vie. « L’homme est angoisse », car une responsabilité très lourde pèse constamment sur lui : celle de choisir, seul, sans excuse, pour tous les hommes. L’angoisse est en quelque sorte le symptôme de notre entière responsabilité. Mais alors on pourrait se demander pourquoi certains hommes semblent ne pas ressentir cette angoisse ? Selon Sartre, certains se masquent leur angoisse en se réfugiant dans une posture individualiste : « cela ne regarde que moi ». Sartre définit ici la mauvaise foi : c’est une fuite face à notre responsabilité écrasante et à l’angoisse qu’elle provoque.

 

Conclusion : L’auteur énonce une morale nouvelle qui nous incite à la prudence et à la lucidité, mais aussi à une libération : libération par rapport aux règles morales traditionnelles, qui n’ont aucune valeur absolue ; prudence dans nos actions, car chacun d’entre nous est créateur de normes. Et enfin courage et lucidité, face à l’angoisse qui nous accompagne.

 

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